Série photographique Hystoriques,
2021
Depuis l'enfance, j’évolue entourée de filles et de femmes, de nationalités ou originaires de pays du monde entier.
Pourtant dans les archives, documentaires qui relatent l’histoire de l’immigration en France, je constate que peu de femmes sont représentées.
Trop peu de photos, vidéos de celles qui ont quitté leur pays. Pourtant ce sont elles qui transmettent leurs histoires et leurs cultures à leurs enfant.e.s.
Le cinéma comme la photographie nous offrent trop peu de représentations de celles qui ont grandi dans une double culture, entre celle de la république et celle transmise au sein du foyer.
Je travaille depuis plusieurs années à mettre en perspective les invisibles de notre société, particulièrement les femmes, afin d’offrir aux nouvelles générations des nouveaux modèles authentiques et de laisser dans l’histoire des images de nos existences.
Ainsi, ma série photographique HYSTORIQUES met en perspective des femmes des diasporas présentes en France
Page en cours de mise à jour
Meryem Idrissi Amrani, octobre 2021



Je suis marocaine et je suis en France depuis 10 ans.
Je suis née et j’ai grandi à Casablanca et j’ai fait une partie de mes études supérieures au Maroc.
J’ai choisi de continuer mes études à l’étranger en candidatant dans une école de commerce en France pour faire un master.
Je suis arrivée en 2011 à Cergy. A l'époque, je pensais venir pour mes études et retourner vivre au Maroc après mon diplôme.
Mais durant ma dernière année d'étude, c’est devenu une évidence pour moi que j'allais rester en France et ne pas retourner au Maroc.
Venir en France c’était le début d’une indépendance, d’une émancipation. J’ai quitté le foyer parental pour vivre seule à l'étranger. J’ai quitté un pays assez religieux pour un pays occidental avec des mentalités et des repères complètement différents.
Pendant mes 3 années de master j’ai eu beaucoup de réflexions sur moi et mon identité.
J’ai grandi dans un milieu très sexiste et misogyne, avec beaucoup de harcèlement de rue violent. Cela existe bien évidemment en France mais ce n’est pas comparable avec le Maroc.
Au Maroc, j’avais intégré comme normal de subir le harcèlement dans les espaces publics et de subir de la violence, verbale et physique, en y répondant.
Plus jeune, j'ai eu l’occasion d’aller en vacances en Europe avec mes parents, on remarquait que le danger pour les femmes dans les espaces publics n'était pas le même qu’au Maroc.
Je me souviens, une fois, en Espagne, j’étais jeune adolescente, on était en voiture, très tard le soir, une femme marchait seule, mon père m’a dit “regarde elle est seule dans la rue, tu imagines de voir une femme seule la nuit dans la rue au Maroc?”
Au Maroc c’est inenvisageable, je rentrais avant 21 heures. Si je devais rentrer plus tard, il fallait qu’on me ramène en voiture.
Ça m'a restreinte dans ma vie sociale. Jusqu’à mes 22 ans, je suis très peu sortie pour cette raison.
Au Maroc, la classe supérieure vit dans une bulle. Ces gens ont une plus grande indépendance parce qu’ils ont les moyens d’avoir une voiture ou un chauffeur. L’élite a des endroits particuliers pour sortir, où l’alcool est toléré par exemple.
Quand tu n’as pas ces moyens financiers alors tu te prives de liberté ou tu vis dangereusement.
Mon année de terminale, on parlait de ce qu’on envisageait pour les études supérieures. Celles et ceux qui parlaient d’aller à l’étranger évoquaient la liberté: pouvoir sortir, boire, fumer, sans pression des parents, sans avoir à se cacher. C’était synonyme de liberté.
A cette époque, je ne pensais pas quitter le Maroc, je ne pouvais pas concevoir de devoir partir pour accéder à l’indépendance, à la liberté. Je trouvais ça fou de partir si loin de sa famille. Je n’arrivais pas à le comprendre.
Je viens d'une classe sociale moyenne supérieure, mes parents nous ont toujours poussés à faire des études.
Pour moi les études c’était la clé de l’indépendance, c’était extrêmement important pour moi. Je n’avais pas une vie sociale importante, mais je m’en contentais, ce n’était pas ma priorité.
Je suis venue en France pour poursuivre mes études, pas dans un esprit de recherche de liberté.
Sortir de ce cadre en quittant le Maroc m’a permis de développer mon féminisme et ma posture féministe. J’ai développé ma confiance en moi. J’étais une étudiante, célibataire, qui vivait seule.
Au Maroc on me demandait d’intégrer les violences sexistes comme normales, en venant en France j’ai réalisé que ce n’était pas normal et que je ne pouvais pas y revenir.
Pendant mes études, quand je rentrais en vacances à Casablanca pour voir ma famille, je ne sortais pas, pendant deux, trois semaines je restais enfermée pour me protéger des violences dans les espaces publics.
En essayant de me projeter dans une vie de femme célibataire, vivant seule au Maroc j’ai réalisé que ce n’était pas possible, que ça gâcherait ma vie.
J’ai alors compris que je ne pourrais pas revenir vivre dans ce contexte.
Être en France m’a permis de prendre du recul J'ai pu déconstruire beaucoup de choses. Aujourd'hui je fais la différence entre la religion et la culture et les valeurs dans lesquelles j’ai grandi.
Je me suis beaucoup questionnée, par exemple sur mon rapport à la religion, mon rapport à mon corps, deux sujets extrêmement liés, notamment la question de la virginité.
Je ne suis pas pratiquante parce que je n’en ressens pas l’envie ni le besoin, ça ne me parle pas, mais je pense avoir la foi. C'est plus fort que moi j’ai grandi avec, ce n'est pas quelque chose dont je peux me détacher. Pdt très longtemps je me suis dit “je suis quelqu’une de très logique, et maintenant que j’ai fait ce cheminement pourquoi je ne m’en détache pas complètement ? pourquoi je ne ne me sens pas athée?”.
Je suis extrêmement critique, de la religion, de toutes les injonctions religieuses. J’arrive à trouver un juste milieu entre ce que je reproche à la religion et les valeurs qu’on m’a inculquées.
C’est difficile à expliciter, j’ai un rapport à la France en lien avec mon cheminement personnel. Au bout de 10 ans ici, je me suis demandé plusieurs fois “chez moi c’est où”?
J’ai du mal à répondre à cette question. Je me sens chez moi en France. J’ai un rapport compliqué avec le Maroc, un rapport d’amour-haine.
J’aime le Maroc, c’est le pays dans lequel j’ai grandi, c’est mes racines mais je hais la façon dont j’y vis en tant que femme.
J’aime le pays mais pas les gens. C’est un peuple cruel avec ses semblables. Il y a une générosité et une bienveillance envers les étrangers mais pas avec son propre peuple. L’autre est un rival.
Je n’ai pas beaucoup subi de racisme en France, peut être parce que physiquement je ne suis pas très typée.
J’ai remarqué qu’il y a une différence de traitement entre les maghrébines nées en France et celles qui sont expatriées.
Par contre j’ai eu droit à des "beurette”, de la fétichisation de la part des hommes. ou des fois ou l’on me met au cœur d’un débat comme une fois une collègue qui me dit “je suis allée à Fès, j’ai dû me couvrir la tête, je ne comprends pas pourquoi ici vous ne vous adaptez pas à la culture”, comme si j’étais la Marocaine de service représentante des femmes voilées.
Je suis rentrée en 2017 pour le décès de mon père, je me suis retrouvée plongée dans les traditions et les protocoles, c’était pénible, un calvaire. Mon père est mort à la suite de 6 années de maladie, d'un cancer.
Avec mon frère nous sommes arrivés le lendemain du décès, on a demandé à voir le corps de notre père, cela a fait scandale. Le mari de ma tante, autoproclamé homme le plus pieux, nous disait que c’était scandaleux et impossible.
J'étais en deuil et j’ai dû faire face à des absurdités, des protocoles sociaux. On donne de l’importance aux codes sociaux, pas aux émotions.
On m’a reproché de beaucoup pleurer la mort de mon père. On m’a interdit d’aller au cimetière, les femmes n’ont pas le droit d’y aller, c’est réservé aux hommes.
Pourquoi ? Parce que les femmes sont trop dans les émotions. C’était important pour moi d’accompagner mon père. Mon frère a été obligé d’y aller, parce qu’à ce moment il est devenu “l’homme de la famille”, ils lui ont reproché de pleurer.
J’ai découvert une expression, quand une femme devient veuve on dit une expression comme “que dieu t’aide”, elle doit s’habiller tout en blanc du voile à la tenue aux chaussures, pendant 4 mois. Ma mère a respecté cette tradition, elle en avait peut être besoin, moi je ne l’ai pas comprise, je l’ai perçue comme une violence sexiste, comme une chose intime de sa vie que l’on expose à toute la société.
Quand mon père est mort, ma mère a vu son statut social chamboulé, elle a compris qu’elle n’était plus perçue comme la propriété d’un homme,
L’expression qu’on dit aux hommes le jour de l’enterrement de leurs femmes “que dieu réchauffe ton lit”. La femme n’est même pas enterrée qu’on suggère à l’homme de trouver rapidement une remplaçante.



Quand je suis arrivée ici j’ai ressenti la dévalorisation de la culture et du patrimoine marocain, tout ce qui était occidental était mieux, c’est la modernité. Par exemple je n’aimais pas la musique orientale, je n'écoutais que de la musique américaine, occidentale, à la télévision je regardais les médias français.
C’est lié à la colonisation, on a intégré la dévalorisation de ce qui est marocain et la valorisation de la culture française.
Quand je suis arrivée en France, je ne me suis pas sentie en rupture. Au début, j'ai apprécié la facilité comme le fait d'acheter des produits industriels.
C’est au bout d’un an que ça m'a manqué. Ça a commencé par la cuisine, j’ai commencé à cuisiner alors qu'au Maroc je n’avais jamais cuisiné, ça ne m’avait jamais intéressée et je rejetais ça parce que dans mon esprit c’était une tâche réservée aux femmes. Au Maroc il y a un terme pour désigner une femme qui sait faire la cuisine, entretenir un foyer “hadga”.
Je mettais un point d’honneur à ne pas servir quand on recevait des invités, et cela entraînait des remarques parce qu'en tant que fille je suis censée être “hadga”.
J'appelais ma mère et elle m’envoyait des recettes. Je me souviens de mon premier couscous, que j’ai cuisiné dans mon 16m² avec le peu d'ustensiles que j’avais. Le lien s’est fait par la cuisine. Aujourd’hui c’est un vrai plaisir pour moi de cuisiner marocain, c’est par là que je retrouve ma culture. J’aime ce partage quand j’invite des ami.e.s.
J’aime aussi quand je vois des copines marocaines et qu’on parle en “darija”.
Ma meilleure amie, rencontrée au collège, Hajar vit aussi à Paris, j’aime discuter avec elle de choses qui nous lient comme des choses que l’on vit en tant que Marocaine en France, de nos expériences communes.
Ensuite elle y a eu la danse orientale, qui m’a permis de créer et d’entretenir un lien avec ma culture. J’ai découvert à travers la danse la musique orientale, j’ai appris à ne plus le voir comme inférieure et à me rendre compte de la richesse de la musique orientale.
Je prends des cours depuis 2017, dans un groupe en non-mixité.
Ma prof a une bonne connaissance de la culture autour de la danse et de la musique orientale, elle est passionnée, elle nous explique les émotions transmises à travers les rythmes.
J’aime la musique orientale des grandes chanteuses et interprètes des années 50-80.
C’est ces musiques qu’on écoutait le dimanche chez mes grands-parents, ça a réveillé des souvenirs et crée un rapport nostalgique avec ma culture et mes souvenirs.
Ça me permet de me reconnecter avec ma culture.
Ma mère m’a transmis l’idée que j’étais capable. Ma mère est très très forte, physiquement et mentalement. Elle a une force de caractère, elle s’impose. J’ai grandi avec ça.
Mon père transmettait les valeurs comme l'honnêteté et l’intégrité”.
Ma mère s’imposait plus, en grandissant je remarquais que ce n'était pas fréquent chez les femmes. Depuis que je suis très jeune, elle m’a toujours répété que l’indépendance mentale et financière est la clé de tout quand on est une femme.
Ce n’était pas le cas spécialement pour elle puisqu’elle gagnait moins que mon père.
Très jeune, elle m’a dit “il faut que tu aies ton propre compte bancaire”, je me suis construite avec ce genre de conseils.
Aujourd’hui je me rends compte qu'elle m’a aidée à développer ma confiance en moi, elle m’a toujours montré et dit que le physique n’était pas le plus important. Les mères de mes copines les incitaient à se maquiller, à devoir plaire physiquement puisque le but ultime c'est d’accrocher un mari. Ma mère faisait tout le contraire, elle m’interdisait de m’épiler, de me maquiller en me disant que j’en avais pas besoin parce que j'étais belle sans ça.
Ma mère ne s'épilait pas et je lui disais qu'elle me faisait honte quand on allait à la plage. Elle m’a donné cette image de la femme naturelle, qui casse les codes de l’esthétisme.
C’est grâce à ma mère que j’ai réussi à déconstruire les injonctions sociales sur la conformité de l’image de la femme maquillée, épilée, qui doit plaire.
Je crois que ma mère n’a pas de complexe physique, ou alors elle n’en a jamais parlé. Comme si elle était dans une acception totale d'elle-même. Sauf pour une chose: les cheveux, elle assume les cheveux blancs, mais pas les cheveux frisés.
Elle a intégré les standards de la beauté occidentale avec les cheveux lisses. Elle se fait des brushings toutes les semaines, ce qui les a beaucoup abimés.
Je pense que c’est la seule chose qu’elle rejetait. Aujourd'hui j’ai l’impression de lui rendre ce qu’elle m’a transmis en lui disant que c’est normal d'avoir les cheveux frisés, d'arrêter de les lisser, d'accepter ses cheveux comme ils sont sont.
Aujourd’hui j’ai l’impression de lui rendre une petite chose.
Mylène Casimir, septembre 2021


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Mes parents sont guadeloupéens, ils sont venus en métropole par le biais du dispositif Bumidom, créé en 1963 pour soutenir la relance de l’économie française.
En vingt ans d’existence, le Bumidom a organisé l’émigration de 160 000 personnes originaires de la Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion.
On est venu chercher les antillais en leur promettant logement, formation et travail avec la compensation des congés bonifiés.
Dans les discours de droite on entend que si on est là c’est parce qu’on veut bien de nous alors que si on est là c’est parce qu’ils sont venus chercher nos parents, parce qu’ils avaient besoin d’eux pour travailler dans les administrations et services publics de la métropole.
Pour eux, on est français sans être français, on est noirs sans être africains.
En Guadeloupe, département français, on a des problématiques qui ne concernent pas la métropole,comme les coupures d’eau fréquentes, les empoisonnements au chlordécone, les problèmes de diabète.
Je suis née en région parisienne, où j’ai grandi avec mes 3 frères et 2 sœurs.
Jusqu’à mes 17 ans, je suis allée en Guadeloupe deux mois tous les trois ans, grâce aux congés bonifiés.
J’ai été baignée dans la culture créole, antillaise.
Je me souviens des réveils du dimanche matin, avec l’odeur de la cuisine de ma mère, elle préparait des grands repas pendant lesquels on écoutait de la musique.
Mes parents nous parlaient français, ils parlaient créole entre eux. Ils nous parlaient créole quand ils étaient en colère.
Il y a toujours des clichés rattachés à la culture, par exemple quand je dis que je n’aime pas cuisiner, la plupart des gens me répondent que c’est étrange pour une antillaise, comme si je devais cuisiner du riz et des haricots rouges tous les dimanches parce que je suis guadeloupéenne.
La société attend d’une femme antillaise qu’elle soit mariée, qu’elle ait plusieurs enfants, que son foyer soit nickel quand son mari rentre le soir et qu’elle danse le zouk.
En Guadeloupe, j’ai vu mes cousines avoir des enfants tôt, vers 20 ans, et devenir mères au foyer, sans ambitions professionnelles.
Ce qui n’est pas le cas pour moi, ni pour mes tantes, mes cousines qui vivent en France, qui ont des enfants et qui travaillent.
Cela a sûrement un lien direct avec le taux de chômage important en Guadeloupe, alors c’est le père qui travaille et la mère qui s’occupe du foyer et des enfants


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Je me suis séparée du père de ma fille pendant ma grossesse, j'ai alors emménagé dans un nouvel appartement, dans une ville dans laquelle je ne connaissais personne.
Juste après la naissance de Crylène,
Nous sommes allées toutes les deux en Guadeloupe, j'ai fait le choix d’être auprès de ma mère pour les premières semaines de vie de ma fille et pour ma découverte de la maternité.
J’ai eu le besoin de me rapprocher encore plus de ma culture antillaise à la naissance de ma fille. J’ai eu l’envie et le besoin de lui transmettre l’histoire de sa famille.
Nous sommes restées les deux années de mon congé parental d’éducation.
C’était une chance pour ma fille de vivre ses premiers mois en Guadeloupe, de faire ses premiers pas au soleil, de bénéficier des soins locaux par les plantes et les bains de mer par exemple.
Ma mère m’a aidée dans ma vie de jeune mère, elle s’est beaucoup occupée de Crylène.
J’ai beaucoup été jugée par mon entourage en métropole, parce que je choisissais de quitter le père de mon bébé pendant la grossesse puis parce que j’ai choisi d'être en Guadeloupe pendant les deux années de mon congé parental.
Ça m’a permis de faire du tri entre les personnes qui se souciaient de mon épanouissement et de celui de ma fille, et les autres.
Crylène a la chance d’aller en Guadeloupe tous les été, chaque année.
Son père est né en Guadeloupe, il a été élevé par sa grand-mère. Il est venu en France à 20 ans.
C’est important pour son père et moi, même si nous sommes séparés aujourd’hui, que Crylène y passe deux mois par an, pour qu'elle soit baignée dans les traditions de guadeloupéennes. Qu’elle entende le créole, qu’elle le parle, à la maison je ne le parle pas tous les jours. Qu’elle apprenne les traditions de Guadeloupe.
Quand ma fille a commencé à réclamer des poupées, j’ai cherché des poupons noirs, des barbies et ken noirs.
Finalement ces barbies sont calquées sur des critères physiques standards avec des proportions qui ne ressemblent pas à la grande majorité des femmes, nous n'avons pas de représentations qui nous ressemblent.
Aujourd'hui Crylène a 8 ans, j’aimerais qu'elle ai des modèles de femmes noires auxquelles s'identifier.
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Josée Moudilou, juin 2021



Mes parents sont congolais, ils sont venus en France à la vingtaine. J’ai deux frères et deux sœurs. Ils nous ont élevé entre la fierté d’être congolais et la peur qu’on ne soit pas assez français. Ils avaient cette envie qu’on parle bien français, alors ils ne nous ont pas transmis leur langue, ils devaient se prouver qu’ils n’avaient pas fait tout ce voyage pour rien.
Mes parents sont fonctionnaires, professeurs, ils nous ont transmis l’importance de s’investir en France, notre pays.
Je ne suis jamais allée au Congo, mes parents ne m'ont pas transmis la culture congolaise comme une identité, ils ne m’ont jamais laissé d’autre choix que d’être française. Il était hors de question pour eux qu’on se tourne vers le Congo, ils avaient l’espoir qu’ainsi on aurait pas à lutter pour être considérés comme les autres enfants nés en France, malheureusement ça n’a pas été le cas.
Ils acceptaient d'être traités comme des étrangers et pensaient que leurs enfants, nés en France, ne subiraient pas le rejet.
Enfante, je ne percevais pas de différence avec les autres enfants, j’ai été confronté à ça pendant mes études supérieures. C’est là que je suis devenue noire.
Jusque là je pensais que ma peau noire était un détail physique, j’ai ensuite compris qu’être noire n’était pas seulement lié à une origine géographique mais que pour certains c’était synonyme d’infériorité sociale, je suis tombée de haut.
J’ai été obligée de me questionner en tant que femme noire, les gens ne me laissaient pas le choix. J’ai découvert que j’étais noire dans un monde de blancs.
C’est quand je suis entrée à la fac de médecine, qui est une reproduction du système social élitiste, que je me suis retrouvée dans un monde de personnes blanches et bourgeoises.
J’étais la seule femme noire de ma promo. C’est là que j’ai découvert le système de pouvoir avec une hiérarchie sexiste, classiste et raciale.
Je n’avais jamais sentie le besoin de me rattacher à ma culture congolaise, africaine.
C’est dans le rejet que j’ai construit mon identité de femme afrodescendante, c'est devenu une nécessité. C’est aussi, quand je me suis éloignée de mes parents que j’ai eu besoin de me lier à eux, à leur culture.
C’est à ce moment que j’ai commencé à me rapprocher de mes origines, de la culture de mes parents. J’ai cherché un refuge, un endroit où je ne subirai pas la différence. Lors d’un Erasmus à Bruxelles, j’ai rejoint une église évangéliste congolaise. C’est là que j’ai découvert que les femmes noires étaient différentes, j’ai rencontré des femmes aux physiques et aux styles vestimentaires divers. Jusque là, j’avais l’habitude d’être la seule femme noire, d’incarner la différence avec seulement ma couleur de peau.
Dans cet univers j’ai appris à être remarquée autrement qu’en tant que femme noire, ma couleur de peau ne marquait pas la différence. J'ai pu découvrir qui je suis, avec mes qualités, mes particularités.
Avec les femmes de cette communauté j’ai découvert que les femmes noires sont belles, que la beauté n’est pas réservée aux blanches et aux métis, que je pouvais avoir d’autres modèles de femmes noires que ceux présentés à la télévision ou dans les magazines.
La mode du wax est très récente, avant cela les pagnes et boubous étaient réservés aux mamans, nous les jeunes nées en France on ne portait pas ce type de vêtements.
C’est lorsque j’ai été loin de ma mère que j’ai eu envie de porter des pagnes.
J’ai également compris que dans la société noire, les femmes sont comme déifiées dans les discours, surtout dans les milieux panafricains. Elles sont placées comme supérieures ce qui revient à nous déshumaniser par le haut, c’est une manière de nous dire que nous ne sommes pas humaines, c’est une non reconnaissance de notre humanité.
C’est peut-être pour cela que le féminisme peine à s’installer chez les femmes, dans les discours on a l’impression que les femmes ne sont pas soumises alors que nous avons toute la charge de la famille, du foyer.



Mes enfants sont français, leur père est né au Congo. Je les sensibilise au fait qu’ils peuvent être rejetés du fait de leur couleur de peau. Je leur fait beaucoup écouter de musiques africaines. La musique est un moyen de découvrir et de connaître les cultures. Je leur apprends qu’ils ne doivent pas être étrangers à la France, qu’ils sont français, qu’ils doivent s’investir dans les sphères de pouvoir. J’espère qu’ils pourront être fiers d'être français, malgré les peurs que j’ai en voyant la montée des groupes identitaires racistes.
Je me sens proche aussi proche des congolais.e.s que des personnes noires américaines, antillaises, sénégalaises, … J’ai créé un collectif de femmes afrodescendantes, j’apporte des pensées féministes.
Je parle des problématiques comme la dimension raciste intrinsèque au système prostitueur, je transmets également ce concept de la convergence des patriarcats, les hommes noirs sont victimes de racisme tout en profitant du système d’oppression patriarcal.
Une femme m’a dit “on est beaucoup plus proches des hommes noirs que des femmes blanches”,
je lui ai répondu “quand tu marches le soir, seule dans la rue, tu as peur des groupes de femmes blanches ou des groupes d’hommes noirs?
Je n’ai jamais eu peur d’être violée ou frappée par une femme blanche. Les hommes noirs ne nous perçoivent pas comme des sœurs, mais comme des femmes sur lesquelles ils ont du pouvoir".